Porrentruy, le 12 juin 1982.
Conférence de Jean-Louis XHONNEUX, secrétaire
général de l'Action fouronnaise.
I. LA SITUATION GEOGRAPHIQUE DE LA REGION
FOURONNAISE.
1.1. Notre région, constituée de six villages
- communes avant le 1er janvier 1977 - porte, depuis que le projet de loi dit
"linguistique" de 1961 l'a rendue si tristement célèbre, le nom du
principal cours d'eau qui la traverse - le Fouron, ruisseau affluent de la
Meuse, nom qui apparaît d'ailleurs dans les noms de trois des six villages de
chez nous : Fouron-SaintPierre, Fouron-Saint-Martin, Fouron-le-Comte, les
trois autres étant Teuven, Rémersdael et Mouland.
1.2. La région est délimitée au nord par la
frontière avec les PaysBas, à l'est et au sud, elle est en contact avec la
province de Liège. A l'ouest de notre région passe la Meuse et au-delà de la
Meuse, il faut encore traverser les nouvelles communes de Visé, Oupeye et
Bassenge avant d'atteindre la frontière de la province et de l'arrondissement
auxquels nous a rattachés la loi qui est entrée en vigueur le 1er septembre
1963.
1.3. Il ressort clairement de la carte annexée
que, géographiquement, la région fouronnaise ne fait pas partie du Limbourg,
duquel elle est complètement isolée.
Cette réalité géographique en entraîne une
autre, sur le plan socio-économique : dans ce domaine, la région est
totalement intégrée, depuis toujours, au pays de Verviers et de Liège
l'annexion de 1963 n'a rien pu modifier à cela.
2.
SURVOL HISTORIQUE.
Vous
trouverez dans votre farde trois brochures éditées par l'Action fouronnaise.
L'existence des deux brochures de Jules Goffard me permet de me limiter à
l'histoire récente des 20 dernières années.
A
la suite de nombreuses péripéties, le gouvernement belge de 1961 a été obligé,
par la majorité flamande du pays, de fixer définitivement la frontière
linguistique. Il s'agissait pour les flamands de mettre fin à la tache d'huile
de la francisation.
Le
projet de loi contenait donc aussi, après divers travaux parlementaires, un
article rattachant la région fouronnaise au Limbourg.
Lorsque
la résistance au projet 194 se mit à gronder, les Flamands prétendirent que
toute cette agitation était le fait des agissements du "noble francisé"
du coin, feu le Comte L. de Sécillon, bourgmestre de Teuven. Ils confondaient
Fourons et Flandre, assimilant - ou feignant d'assimiler dans leur propagande -
la situation dans notre région à ce qu'était, semble-t-il, la situation en
Flandre au siècle dernier et prenant les Fouronnais, apparemment, pour des
sous-développés, qu'il fallait, avec un siècle de retard, éduquer et émanciper.
Ils ignoraient ou feignaient d'ignorer tout ce mécontentement accumulé depuis
1930.
Tout
qui s'est intéressé de près ou de loin au sort que l'État belge était en
train de faire à notre région se souviendra des innombrables manifestations
qui se déroulèrent, dans la plupart des grande: villes de Wallonie et à
Bruxelles, dans le courant de 1962 et 1963. Il serait fastidieux d'en faire l'énumération.
Rappelons simplement l'indignation que souleva le vote du 2 août 1963 à la
Chambre. A la suite de ce vote, les principaux journaux francophones publièrent
"à la une" la liste des mandataires qui avaient "trahi la
Wallonie".
Rappelons
également la dernière de ces manifestations, celle
Dès
ce jour, la lutte allait prendre, en effet, un autre aspect. Il allait falloir,
dans la vie de chaque jour, résister à la politique de la nouvelle
administration, qui se révéla bientôt être une politique coercitive de
flamandisation.
Le
mot d'ordre devenait dès lors - et est malheureusement toujours - : "La
lutte continue" pour le "Retour à Liège".
Du
recensement de 1947, première expression officielle du mécontentement de la
population fouronnaise quant au sort qui lui était fait, il ne fut tenu aucun
compte. Les innombrables protestations élevées contre l'attitude des autorités
supérieures dans le courant des années 50, tant par les habitants que par les
administrations communales, furent ignorées.
La
conclusion finale de l'exposé du "cas" de la région du Fouron dans
le "Rapport final" du Centre Harmel (1)
fut escamotée. Ce texte vaut la peine d'être médité, car il renferme
une possibilité de solution du problème fouronnais et d'apaisement des
esprits.
"Pour
terminer un débat sans issue, des membres du Centre ont suggéré que le régime
bilingue des Fourons soit déterminé par arrêté royal, librement, cela va
sans dire, mais après consultation des Administrations communales intéressées.
C'est là, sans aucun doute, un régime exceptionnel mais qui semble effectivement
commandé par une situation elle-même exceptionnelle. Le Centre s'est rallié
unanimement à cette solution, qui est le résultat de concessions importantes
de part et d'autre."
La
consultation du 28 octobre 1962, organisée officiellement par le Conseil
provincial de Liège, qui permit aux Fouronnais de s'exprimer librement, donna
les résultats suivants
Province
de Liège régime
français facilités pour le néerlandais |
Province
du Limbourg régime
néerlandais facilités pour le français |
Abstentions | |
Totaux |
1.562 |
61 |
798 |
% |
64,5 |
2,5 |
33 |
|
|
|
|
Si
l'on additionne les abstentions aux votes exprimés en faveur du Limbourg, on
obtient la proportion : 64, 5 % pour le régime français avec facilités pour
le néerlandais, 35,5 % pour le régime inverse. La presse et l'opinion, en
Flandre, crièrent à la "manipulation" : ce sont pourtant ces
chiffres qui se sont vus confirmés à chaque scrutin communal (1964, 1970,
1976). L'Autorité supérieure ignora ces chiffres, tout comme elle ignora les
appels au bon sens dans la prise d'une décision qui concernait une population
de 4.500 citoyens qui, - faut-il le dire ? - ne disposaient pas et ne disposent
toujours pas d'une représentation propre à la Province ou aux Chambres.
La
question qui se posait, au lendemain de l'annexion de septembre 1963, était de
savoir si la résistance des Fouronnais n'était, comme le prétendaient les
flamingants, qu'un artificiel
3.
SOUS LE RÉGIME LIMBOURGEOIS.
3.1.
De 1963 à 1976.
Au
lendemain du vote de la "loi linguistique", ainsi qu'on l'appelait en
1963, les bourgmestres des Fourons écrivaient à leur population
"Cette
impensable loi n'apporte aucun espoir d'apaisement au pays, au contraire elle
provoque dangereusement les luttes stériles (...)
"Ce
n'est pas une solution, elle ne sera pas définitive. Quant aux Fourons : tout
le monde, y compris le Gouvernement, reconnaît que cette annexion est une
erreur, une injustice et un non sens."
"Quant aux Fourons" : un référendum, des manifestations, des enquêtes avaient montré, AVANT le vote de la loi en 1963, la volonté de la majorité des Fouronnais. Des élections législatives, trois élections communales en refirent constamment la preuve APRES.
L’Association
régionale pour la Défense des Libertés, aidée par des amis francophones de
tous horizons, et plus particulièrement jusqu'en 1970, par l'A.S.B.L. Le Grand
Liège, organisa le soutien moral et financier de la résistance des habitants.
De 1963 à 1973, l'enseignement maternel en langue française fut organisé sur
place, dans chaque commune, et financé grâce à la solidarité de toute la
communauté francophone du pays ; les parents ayant des enfants en âge de
suivre l'enseignement secondaire, bénéficièrent d'interventions financières
dans le paiement du transport de leurs enfants vers les établissements proches,
en province de Liège.
Loin
de voir l'enseignement néerlandophone gagner du terrain, comme on aurait pu le
craindre, c'est le phénomène inverse qui se produisit, ainsi qu'en témoignent
les chiffres suivants :
Enseignement
primaire : nombre d'enfants en âge d'obligation scolaire
année scolaire |
61/62 |
71/72 |
73/74 |
75/76 |
77/78 |
78/79 |
79/80 |
80/81 |
81/82 |
nombre global |
639 |
712 |
673 |
624 |
544 |
520 |
474 |
450 |
428 |
Enf.dans
sect.NL |
408 |
316 |
264 |
239 |
207 |
185 |
181 |
175 |
197 |
enf.dans
sect.FR |
231 |
395 |
409 |
385 |
335 |
335 |
293 |
273 |
230 |
enf.inscrits
dans une école de langue allemande |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
1 |
Certains
finirent par s'émouvoir devant tant d'insistance de la part d'une population si
peu nombreuse, par comprendre que les Fourons sont, depuis 1963, un chancre dans
le flanc du pays, une plaie ouverte qui se réinfectera continuellement tant que
leur statut administratif ne sera pas revu.
Conscients
de ce que les Fouronnais ne demandent en fait rien d'autre que les mêmes droits
de l'homme que ceux qui sont garantis aux autres citoyens de ce pays, des hommes
politiques, des ministres, conçurent des projets. On commença par vouloir nous
donner satisfaction totale en nous faisant réintégrer notre province, on se
rabattit ensuite sur une solution intermédiaire : un canton spécial, dépendant
directement du Ministère de l'Intérieur, ou même un "territoire d'État"
faisant - administrativement - partie de l'agglomération bruxelloise.
Devant
les fausses promesses et les manquements à la parole donnée de maints hommes
politiques flamands, on se rabattit, après dix ans, sous le gouvernement
tripartite de M. E. Leburton, sur une solution minimaliste et juridiquement
boiteuse qu'on baptisa "solution d'apaisement".
Cette
"solution d'apaisement" consista à rendre possible, par un arrêté
royal du 10 mai 1973 - appelé A.R. Toussaint-Callewaert - modifiant l'A.R. du
14 mars 1960 (2), l'enseignement subventionné gardien et
primaire en langue française dans chacune des six localités de la région.
La
population fouronnaise, réaliste, se satisfit de cette "solution" qui
lui permettait l'espoir de sauver la culture française dans la région de
l'asphyxie à plus ou moins longue échéance.
Là-dessus,
les Flamands adoptèrent l'attitude de celui qui, apparemment, a fait la preuve
de sa bonne volonté. En fait, rien n'était changé. Les Fouronnais se
sentaient toujours atteints dans leur dignité humaine ; ils trouvaient toujours
que des étrangers à leur région, à leurs problèmes, à leur mentalité, à
leur tradition polyglotte, cherchaient à leur imposer un avenir dont ils ne
voulaient pas .
-
une
administration dont ils ne voulaient pas,
-
des déplacements
longs et fastidieux à Tongres et Hasselt,
-
des liens
économiques irréalistes;
-
un
enseignement unilingue politisé : il suffit, pour se rendre compte à quel
point cet enseignement est politisé, de savoir combien méticuleusement la législation
est appliquée par l'inspection linguistique lorsqu'il s'agit des enfants fréquentant
nos écoles françaises. Les procédés employés rappellent furieusement des époques
qu'on espérait révolues. On n'hésite pas, par exemple, à interroger des
enfants âgés de moins de trois ans afin de vérifier l'exactitude de la
"déclaration linguistique" des parents (3).
Mais,
sentant qu'ils n'obtiendraient rien de plus, les Fouronnais finirent par
s'assoupir, sinon se décourager. Et ils donnèrent ainsi, bien
involontairement, l'occasion aux autorités flamandes de faire la preuve de leur
mauvaise foi.
3.2.
Les écoles françaises des Fourons.
3.2.1.
à la rentrée scolaire de septembre 1975, le poste d'institutrice en chef de
l'école communale française de Teuven, déclaré vacant, ne put être réoccupé,
étant donné que les candidats qui se présentèrent furent tous déclarés
inaptes pour connaissance insuffisante du néerlandais. L'école fut fermée
faute de personnel.
3.2.2.
une semaine avant la rentrée de septembre 1976, fut rendu public l'arrêt n°
17.760 de la IVe Chambre du Conseil d'État, section administration,
en date du 9 août 1976, annulant l'A.R du 10 mai 1973 : c'était, du même
coup, supprimer les écoles françaises de Mouland et de Fouron-le-Comte, qui ne
répondaient pas aux normes prévues par l'A.R. du 14 mars 1960.
Pour
bien comprendre la portée politique de cet arrêt du Conseil d'État, il faut
prendre en considération les faits suivants :
1.
l'arrêt fut pris et diffusé au moment le plus (in)opportun c'est-à-dire
à la veille d'une nouvelle année scolaire. Il y avait à cela un triple
avantage :
1° atmosphère de vacances peu propice à
l'organisation de la résistance ;
2° effet de surprise, pouvant pousser certains
parents à changer leurs enfants spontanément d'école ;
3° possibilité d'empêcher, grâce à la
"loi de blocage", la réorganisation, après le 1er octobre, d'écoles
n'existant plus ou ayant été supprimées.
2. l'arrêt fut pris à cinq mois du 1er
janvier 1977, date à laquelle devait entrer en vigueur la loi sur la fusion des
communes. Cette fusion des communes aurait rendu l'A.R. Toussaint-Callewaert de
1973 caduc, étant donné qu'avec le remplacement des six communes par une seule
grande commune, il sera toujours possible de trouver 16 parents habitant à
plus de 4 kilomètres d'une école française. Après le 1-1-77 donc, non
seulement la plainte mais aussi l'arrêt du Conseil d'État auraient été sans
influence. Alors que, au mois d'août, on espérait bien provoquer la perte de
quelque cent élèves de gardienne et primaire à l'enseignement français dans
les Fourons.
Chacun sait le sursaut, le réveil de la
population fouronnaise. L'école maternelle et primaire de Fouron-le-Comte
continua, de sep tembre à décembre 1976, malgré le vide légal et financier
fait autour d'elle par l'arrêté du Conseil d'État, que le Ministre de l'Éducation
nationale flamande, M. De Croo, s'empressa d'appliquer sous la pression de la
Volksunie. Alors que les exemples d'arrêts du Conseil d'État ignorés par les
gouvernements ne se comptent plus. Par après, devant l'émoi de l'opinion
fouronnaise et de l'opinion publique francophone, le ministre De Croo affirma,
à plusieurs reprises, sa volonté de trouver une solution au problème de cette
école au 1er janvier 1977.
Le 23 décembre 1976, M. A. Humblet, ministre de
l'Éducation nationale française répondit, au nom du gouvernement, à une
question du député Ch. Talbot, à propos de la situation des écoles françaises
dans la région du Fouron. Les différents éléments de cette réponse
"Vu la réponse de M. le Ministre HUMBLET
à la question orale de M. le Député TALBOT, en la séance du 23 décembre
1976 de la Chambre des Représentants, déclarant notamment,
1° que, avec la création d'une seule commune
"FOURONS" découlant de la fusion des communes au 1er
janvier 1977, "Il est hors de doute que les parents se trouvent en nombre
suffisant pour demander l'enseignement maternel et l'enseignement primaire en
langue française", à savoir "seize parents qui ne trouvent pas cet
enseignement dans un rayon de 4 km." ;
2° que "la population scolaire globalisée
donnera droit à un certain nombre de classes que la commune pourra laisser
implantées là où elle estime qu'elles sont nécessaires"
3° que, "la fusion des communes entraînant
une modification du pouvoir organisateur (...) au milieu d'une année scolaire,
(cette situation) pourra faire naître çà et là, certaines difficultés
particulières qu'il y aura lieu de rencontrer par certaines mesures
exceptionnelles", étant donné que normalement l'organisation telle que
fixée au 50ème jour de la présente année scolaire doit continuer jusqu'au 30
juin" ;
4° que "le gouvernement est disposé à
subventionner toute école que la nouvelle commune voudrait organiser conformément
à la loi » et qu'il "est disposé aussi à faire preuve de compréhension
dans l'examen des décisions que la nouvelle commune pourrait prendre dans
le respect de la réglementation en vigueur" ;
DÉCIDE :
1)
de maintenir en activité les trois écoles communales existant au
31.12.76, à savoir, l'école maternelle et primaire de Rémersdael, l'école
maternelle et primaire de Fouron-Saint-Martin,
l'école maternelle et primaire de Fouron-le-Comte ;
2)
de désigner comme siège de la nouvelle école communale française de
la nouvelle commune Fourons, l'école de Fouron-Saint-Martin ;
3)
de réorganiser le fonctionnement des trois sections de la nouvelle école
maternelle et primaire conformément aux conditions de subventionnement fixées
par l'article 24, paragraphe 2 de la loi du 29 mai 1959 et aux normes fixées
par l'arrêté royal du 8 octobre 1975.
3.3. Les Élections communales du 10 octobre
1976
Lors des élections communales d'octobre 1976,
l'électorat fouronnais, outré devant la
Quelle meilleure preuve peut-on exiger du mécontentement
de notre population ?
Cette population vient de faire la démonstration
qu'elle ne voudra jamais d'une administration qui fait fi des principes élémentaires
de liberté, de tolérance et de droits de l'homme.
Cette population vient de faire la preuve
qu'elle n'est pas dupe des manoeuvres sournoises et des buts réels de l'autorité
flamande.
Aussi,le Conseil Communal de la nouvelle commune
de FOURONS, conscient d'être mandaté par la population pour oeuvrer à l'obtention
de ses exigences légitimes, a-t-il voté à sa première séance, majorité
contre opposition, une motion "Retour à Liège" dont voici le texte :
LE CONSEIL COMMUNAL,
Considérant
que les élections communales du 10 octobre 1976 furent un véritable référendum ;
Considérant
donc que les voeux de la population ont été clairement exprimés ;
EXIGE
-
le rattachement de la nouvelle commune de FOURONS à la Province de Liège ;
-
le maintien de toutes les écoles françaises, le soutien de toutes les activités
culturelles de langue française, le bilinguisme intégral dans
l'administration de la nouvelle commune ;
CHARGE
le Collège des Bourgmestre et Échevins de transmettre copie de la présente
motion
à
S.M. le Roi,
à
M. le Ministre de l'Intérieur,
à
MM. les Ministres de l'Éducation nationale, à M. le Gouverneur de la Province
du Limbourg, à M. le Gouverneur de la Province de Liège,
et
à M. le Commissaire d'arrondissement-adjoint pour les Fourons."
4.
Une nouvelle étape dans la lutte.
La
séance d'installation du conseil communal de Fourons du 1er janvier
1977 fut annulée, parce que les conseillers de la majorité avaient prêté
serment... en français !
A
Fourons, le français, reconnu langue nationale en Belgique, est impropre
lorsqu'il s'agit de prêter serment de fidélité "au Roi, à la
Constitution et aux lois du peuple belge" ! Il fallut tout recommencer...
Les délibérations votées le 1er janvier le furent de nouveau le 27 janvier
1977 avec la même majorité.
Ébranlés
par cette "mésaventure", les membres du nouveau conseil communal
eurent besoin de la détermination de la nouvelle génération de la Commission
pour l'Enseignement et la Culture Française (créée en décembre 1976) pour
mener à bien la réorganisation effective de l'enseignement francophone
communal (avril 1977). Mais la démission du premier gouvernement Tindemans
intervint sans que le ministre De Croo n'eût tenu sa promesse de reconnaître
la nouvelle école française de Fourons...
En
janvier 1977, la Commission pour l'Enseignement et Culture Française - Fourons
sortait le premier numéro de sa revue LE FORON, "Bimestriel de Contact et
d'Information", qu'elle voulait trait d'union entre les responsables de la
résistance, la population fouronnaise, le
public extra-fouronnais qui lui permettait de poursuivre la lutte. Dans son
premier numéro, la Commission pour l'Enseignement et la Culture Française
s'assignait le rôle de défendre les intérêts de l'enseignement francophone
et de promouvoir les activités culturelles à Fourons. Deux semaines à peine
s'écoulèrent avant qu'une autre feuille, flamingante celle-là, et baptisée
VOEREN, ne vint nous prouver que la tolérance sur le plan culturel, nos
adversaires ignorent ce que c'est, et que ce n'est pas notre langage qui va
pouvoir le leur apprendre. Le défi fut relevé : tout en continuant de
comporter des pages à vocation exclusivement culturelle. LE FORON adopta une
attitude politique résolument anti-flamingante dès le 2ème numéro.
LE FORON a été repris ensuite par l'ACTION FOURONNAISE et il parait encore
tous les deux mois.
L'été
1977 se caractérisa par une campagne de sensibilisation afin d'arracher enfin
la reconnaissance de l'enseignement communal francophone rationalisé, et par la
préparation d'une grande fête populaire, prévue pour le 2 octobre.
Le
second dimanche de septembre, une importante délégation fouronnaise participe
à la 30ème Fête du Peuple Jurassien. Ces Fouronnais rentrent chez
eux émerveillés par ce qu'ils on vu et vécu, encouragés par les liens de
solidarité et d'amitié qui se sont noués entre eux et les Jurassiens. Ce
qu'on avait oublié en Wallonie que la foi et l'enthousiasme viennent à bout de
montagnes, les Fouronnais l'ont redécouvert au Jura. Dès lors, la fête du 2
octobre sera la 1ère Fête du Peuple Fouronnais; ce sera un succès, parce que
les Fouronnais en ont décidé ainsi...
Le
2 octobre fut un succès : les Valdôtains étaient chez nous, les Jurassiens,
les Bruxellois, les Wallons. C'était la première fois, depuis ce fatal 1er
septembre 1963, que des francophones de partout manifestaient, avec une telle
ampleur, leur solidarité aux Fouronnais. Le nouvel espoir, né de cette réussite,
créa des liens nouveaux entre les six villages fouronnais. Ce que la fusion du
1er janvier 1977 n'avait pu faire, le succès du 2 octobre le réalisa
pleinement.
Au
lendemain de la 1ère Fête du Peuple Fouronnais, les jeunes
Fouronnais décidèrent de s'unir en un groupe d'action politique : le GROUPE HÉRISSON.
En
décembre 1977 se créa, parallèlement à la Commission pour l'Enseignement et
la Culture Française, qui continue d'exister en tant qu'organisatrice d'activités
purement culturelles, soutien des associations locales, et soutien de notre
enseignement francophone, l'A.S.B.L. ACTION FOURONNAISE, Mouvement pour le
Retour des Fourons à la Wallonie, qui mènera désormais la lutte sur le plan
politique.
5.
OBJECTIFS DÉ L'AUTORITÉ FLAMANDE :
SOLUTION
RÉCLAMÉE PAR LES FOURONNAIS.
5.1.
La flamandisation totale de notre région d'ici deux à trois générations
constitue clairement l'objectif de l'autorité flamande. Il suffit, pour s'en
convaincre, de voir la nouvelle école secondaire que la province du Limbourg
a construit à ses frais chez nous. Cette école est, en effet, conçue beaucoup
trop grande pour les besoins actuels de la communauté néerlandophone de
Fourons. Hasselt a pris tout le financement sur lui, parce qu'il a la ferme
intention de parvenir, lentement, mais sûrement, à attirer tous les enfants
fouronnais dans son école. En attendant, on va chercher des élèves néerlandophones
là où il y en a, c'est-à-dire aux Pays-Bas...
Veut-on
une autre preuve? Le 28 février 1978 eut lieu, dans l'histoire fouronnaise, un
événement assez remarquable, - et sans lendemain. A l'initiative d'un
enseignant de l'école provinciale flamande de Fourons, d'origine limbourgeoise,
fervent écologiste, une réunion rassembla pour la première fois depuis 1963
des néerlandophones et des francophones animés d'un souci commun : la création
d'un comité de défense de l'environnement. La réunion se déroula avec une
correction parfaite, et dans le respect mutuel des opinions de chacun. La preuve
d'une possibilité d'entente entre néerlandophones et francophones était
faite; les bases d'un Comité écologique fouronnais étaient jetées. Mais, le
surlendemain de cette soirée mémorable, l'enseignant était convoqué à
Hasselt par ses patrons : le pauvre fut accusé de haute trahison : pour
l'administration hasseltoise, il n'y a pas de francophones à Fourons ! Cet
agent avait osé commettre le crime de reconnaître la réalité fouronnaise et
de créer le fâcheux précédent d'une réunion avec des gens qui n'existent
pas !
5.2.
La solution pour éviter la flamandisation de notre région, c'est d'inscrire
dans la loi la réalité telle qu'elle est, et non pas telle que le mouvement
flamingant voudrait qu'elle soit.
Il
s'agit d'une solution de bon sens, la seule solution totalement satisfaisante
pour tous : que l'on reconnaisse la communauté francophone de Fourons pour ce
qu'elle EST,
6.
LES CRAINTES DES FOURONNAIS POUR LEUR AVENIR.
Ce
que nous craignons par dessus tout est en train de se mettre en place : la
Belgique se régionalise en laissant notre région dans sa situation
administrative actuelle. Cela signifie pour nous de voir coupés les uns après
les autres les contacts qui nous restent encore avec les régions liégeoise et
verviétoise, et avec la région wallonne en général.
6.1.
Isolation culturelle.
Cela
signifie l'asphyxie culturelle par l'isolation de notre région (voyez sa
situation géographique), par l'érection d'une frontière bien plus imperméable
qu'une frontière nationale. Cela précisément à l'heure de la suppression
progressive des frontières entre pays européens, à l'heure où la coopération
internationale et les échanges culturels internationaux s'intensifient.
Voyez
le nombre de ressortissants hollandais qui passent trois fois par semaine la
frontière pour venir suivre CHEZ NOUS, à la "Provinciale School",
les cours de promotion sociale de français - alors qu'on conteste aux
autochtones fouronnais le droit DANS LEUR RÉGION à l'enseignement dans la
langue de LEUR CHOIX.
La
minorité néerlandophone (c'est-à-dire belgo-hollandaise) a sa maison de la
culture : ce droit n'est, bien sûr, pas reconnu à la majorité francophone
puisqu'elle est, légalement, une minorité !
6.2.
Isolation socio-économique.
De
par sa situation géographique, notre région est CONDAMNÉE à avoir des
contacts avec la province de Liège; la subsistance de la grande majorité de
nos familles- y compris de beaucoup de familles néerlandophones (hollandaises
ou flamandes) - dépend du travail offert par, ou du commerce avec la province
de Liège.
Au
vu des réalisations de l'administration limbourgeoise, on a d'ailleurs
l'impression que l'on veut faire de notre région une espèce de réserve
naturelle, peuplée d'un certain nombre de "bons blancs", - c'est-à-dire
d'administrateurs et d'enseignants flamands, chargés de sortir petit à petit
les autochtones de leur sous-développement.
Depuis
1963, les seules réalisations concrètes ont, en effet, été
-
la construction d'une gendarmerie (17 hommes maintenant pour 4.200 habitants!) ;
-
la construction d'un "paradis scolaire" flamand ;
-
l'asphaltage de chemins touristiques facilitant les promenades des touristes
flamands et hollandais qu'on s'efforce par tous les moyens d'attirer chez nous ;
-
la restauration de l'ancien presbytère de Fouron-Saint-Martin, à coups de
millions, pour en faire la maison de la culture néerlandaise et la
construction d'une salle adjacente ;
-
la construction d'une auberge de la jeunesse flamande (ouverte en 1982) ;
-
la construction (en projet) de nouveaux bâtiments pour l'Académie de Musique
de la Communauté flamande ;
-
l'achat de bâtiments de ferme qui seront transformés en centres culturels à
Mouland et Teuven.
Pour
le reste, le rôle du pouvoir de tutelle limbourgeois s'est limité à une
politique négative : encouragement de la flamandisation, obstruction systématique
envers tous les projets en faveur des francophones, tracasseries administratives
interminables et sans cesse renouvelées.
6.3.
Émigration, appauvrissement intellectuel.
Les
jeunes francophones, y compris, - et surtout, - ceux qui ont fait des études,
quittent nombreux notre région
-
qui,
parce qu'il (elle) ne trouve pas à s'y installer ;
-
qui parce
qu'il (elle) a trouvé l'âme soeur ailleurs (en de Liège) et que cette
personne ne tient pas à s'installer chez nous pour des raisons évidentes ;
-
qui,
enfin, parce qu'il (elle) trouve insupportables les tracasseries et vexations
administratives que nous subissons.
Il
va de soi que l'administration flamande voit d'un bon oeil le départ de ces éléments,
- souvent de valeur, - qu'elle considère, elle, dans sa politique
flamandisante, comme d'irrécupérables brebis galeuses.
7.
CONCLUSIONS.
Je
n'ai pas parlé des multiples actes de violence qui ont émaillé l'histoire
fouronnaise au cours de ces dernières années. Ma brochure "Livre blanc et
noir de l'Action fouronnaise", que vous trouverez également dans votre
farde, les relate chronologiquement.
Comme
ailleurs, il y aura des élections communales en automne en Belgique et à
Fourons aussi : les élections communales sont notre objectif immédiat. Les résultats
de celles-ci nous permettront de démontrer qu'une communauté majoritaire
refuse depuis bientôt vingt ans de se soumettre.
Je
tiens à remercier le Groupe Bélier
qui nous a invité à cette 18ème Fête de la Jeunesse jurassienne et qui nous
a permis de vous exposer notre problème.
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© jlx@wallon.net - Dernière modification le 27.07.2006
Notes:
(1)
Chambre des Représentants, 24 avril 1958, n° 940, pp. 251 et suiv.
(2) Repris dans l'art. 6 de la loi du 30 juillet 1963, il impose les conditions suivantes : des demandes émanant de SEIZE parents qui ne trouvent pas un enseignement en français dans un rayon de 4 kms. Ce qui excluait TOUTE possibilité d'enseignement du français à Mouland, Fouron-Saint-Pierre et Fouron-le-Comte (voir carte) et a, à plusieurs reprises, posé des problèmes aux autres communes.
(3) Tout à l’opposé, à Rémersdael, dont l'école néerlandophone n'avait plus d'élèves depuis trois ans, l'État a payé jusqu'en 1968 "pour ne rien faire une institutrice flamande dont le pouvoir de tutelle (interdisait) la mise en disponibilité".
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© jlx@wallon.net - Dernière modification le 24/12/2005