XIXème Congrès de l’Association Internationale pour la Défense des Langues et Cultures Menacées, à Morlaix (Bretagne) du 23 au 25 juillet 1999.
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Intervention de Jean-Louis XHONNEUX, secrétaire général de l’Action fouronnaise, secrétaire territorial de l’A.I.D.L.C.M. (Belgique) : la situation de la langue française, minorité dans certaines régions en Belgique.
Pour introduire cet exposé sur la situation en Belgique, je dois d’abord vous rappeler que la région dont je vais vous parler se trouve à la frontière entre la latinité et la Germanie depuis deux millénaires. En fonction des victoires des uns ou des autres, la zone concernée s’est trouvée dans la zone d’influence des langues latines ou dans la zone d’influence des langues germaniques.
Depuis des dizaines d’années,
les Belges ont heureusement abandonné les armes pour se disputer ainsi des
territoires sur la frontière des langues. Ils avaient trouvé une solution en
calquant la législation linguistique sur les résultats des recensements. En
1960, les Flamands n’ont plus voulu de ce système et ils ont cliché la
frontière linguistique en faisant voter une loi par le Parlement belge. Cette
loi a été votée par la majorité des parlementaires flamands contre la
majorité des parlementaires francophones (mais il y avait déjà plus de
parlementaires flamands que de parlementaires francophones). Pour changer cette
loi de 1962 maintenant, il faudrait une majorité spéciale des deux tiers, avec
la majorité ordinaire dans chaque groupe linguistique.
Cette loi de 1962 fixait donc
la frontière linguistique en transférant Mouscron et Comines de la Flandre
occidentale au Hainaut, en transférant les Fourons de la province de Liège à
celle du Limbourg, en limitant Bruxelles aux 19 communes et en limitant la périphérie
bruxelloise avec facilités à 6 communes. La grande raison invoquée était
l’homogénéité linguistique des provinces.
Conscient du fait qu’il y
avait des minorités linguistiques dans toutes les communes de la frontière
linguistique, le législateur prévoyait un système de facilités linguistiques
au profit des habitants. J’avoue que la presse flamande pensait déjà à l’époque
que ces facilités étaient temporaires, mais les textes légaux sont clairs et
rien ne permet d’en déduire que les facilités ne seraient accordées
qu’aux habitants en vie en 1962.
Lors de sa mise en place en
1995, le Gouvernement flamand (CVP-SP) a annoncé qu’il inscrirait la
flamandisation des communes de la frontière linguistique dans son programme de
gouvernement. Très vite, il diffusa donc une première circulaire Van den
Brande réglant l’emploi des langues dans ses services. Cette circulaire fut
suivie par les circulaires Peeters et Martens pour les communes et les centres
publics d’aide sociale.
Là où les facilités
linguistiques mises en place en 1963 permettaient à un habitant de se faire
connaître une fois pour toutes comme francophone par une administration, les
circulaires ci-dessus prétendent que la demande de documents en français doit
être renouvelée à chaque fois. S’ils n’ont donc pas le pouvoir de
supprimer les facilités linguistiques, ils vont y arriver dans les faits par le
harcèlement.
Je vais expliquer mon propos
en l’illustrant par trois exemples récents.
La société de distribution
d’eau, la Vlaamse Maatschappij voor Watervoorziening (V.M.W.), applique
les dispositions des circulaires à la lettre. Nouvel habitant de Rémersdael,
un des villages fouronnais, Grégory Happart a demandé en 1998 à obtenir ses
factures de la V.M.W. en langue française. Cela lui fut accordé et, sur cette
base, il a normalement acquitté ses factures.
En 1999, Grégory Happart reçoit
à nouveau la facture de la V.M.W. en néerlandais, en application de la
circulaire Van den Brande. Il décide de se baser sur la jurisprudence constante
de la Commission permanente de Contrôle linguistique pour considérer qu’il
doit automatiquement recevoir ses factures en français, puisqu’il en a fait
la demande en 1998. En vertu de l’article 58 des lois linguistiques coordonnées,
il considère donc la facture de la V.M.W. établie en néerlandais comme nulle
et non avenue et n’y donne aucune suite.
Simultanément, nous obtenons
un avis de la Commission permanente de Contrôle linguistique disant que la
V.M.W. était tenue d’envoyer automatiquement en langue française ses
factures et autres documents à ceux qui en avaient fait la demande antérieurement.
Malgré tout cela, la V.M.W. a
maintenant chargé une société de récupération de créances, le Bureau
Europa dont le siège international se trouve à Eindhoven, de procéder à une
mise en demeure. Nous attendons maintenant fermement la procédure judiciaire :
un juge devra trancher entre la loi linguistique (fédérale) et la circulaire
du gouvernement flamand.
L’autre cas que je voudrais
évoquer concerne un collègue conseiller communal fouronnais. Il est
agriculteur et il souhaite construire une nouvelle étable pour agrandir son
exploitation agricole qu’il partage désormais avec son fils. Comme presque
l’ensemble du territoire fouronnais est classé en zone protégée d’intérêt
paysager, il faut une enquête spéciale lorsqu’une construction est projetée.
Pour une étable, il faut un avis conforme d’un service technique du ministère
de l’agriculture. Dans ce cas, un fonctionnaire du ministère flamand de
l’agriculture s’est rendu à la ferme Beckers à Fouron-Saint-Pierre. En
application de la loi linguistique, Raymond Beckers a demandé à ce
fonctionnaire de lui adresser la parole en français. Ce dernier a refusé et
nous trouvons la conclusion suivante dans son rapport : « cette ferme
ne peut pas être agrandie parce que l’exploitant n’a pas été en mesure de
nous démontrer la viabilité de l’exploitation ». Nous connaissions déjà
le droit prétorien des juges du Conseil d’État. Voici maintenant la mauvaise
foi absolue d’un fonctionnaire flamingant.
Voici encore un autre exemple
de la volonté d’assimilation des francophones des communes de la frontière
linguistique. Le Gouvernement flamand s’est accordé le droit de préemption
sur toutes les propriétés qui sont vendues dans 26 communes de Flandre. Cette
mesure, prise en application du code flamand de la construction, pourrait paraître
normale si les 26 communes n’étaient pas, par hasard, celles qui comptent une
minorité francophone. Aucun autre critère rationnel ne rassemble ces 26
communes. L’intention est donc évidente. Le slogan des manifestants
flamingants Waalse ratten, rolt uw matten… Adaptez-vous ou déménagez !
trouve ici une voie apparemment légale.
Pour terminer, je dois encore
vous dire un mot du résultat des élections du 13 juin dernier. Les Flamands de
Bruxelles ne sont pas plus nombreux que précédemment, même s’ils ont un élu
de plus. Craignant une majorité Vlaams Blok (extrême droite) dans
l’aile flamande du Parlement bruxellois, un certain nombre de bruxellois
francophones ont préféré voter pour des candidats flamands de partis démocratiques.
Les 100.000 Flamands de Bruxelles ont ainsi encore un peu augmenté le déséquilibre
par rapport aux 120.000 francophones qui n’ont presque aucun droit en Flandre.
Par ailleurs, le CVP n’est
plus au gouvernement fédéral ou flamand, mais ça ne nous rassure pas. Pour le
Ministère flamand de l’Intérieur, le nouveau responsable appartient à la Volksunie,
parti flamingant. Le nouveau ministre, Johan Sauwens, habitué des promenades
fouronnaises, a d’ailleurs déclaré qu’il ferait appliquer les circulaires
Peeters et Martens.