La frontière linguistique a été fixée par une loi du 8 novembre 1962 alors que le dernier recensement à « volet » linguistique datait de 1947. Les résultats de ce recensement, mis en œuvre en 1954, ont fait basculer le nombre de communes officiellement bilingues de 16 à 19, preuve du caractère évolutif du fait bruxellois. A la demande des flamands, ce système fut par la suite abandonné.
Afin de tenir compte de la situation réellement existante au moment de la fixation définitive de la frontière linguistique, il eût fallu procéder à un dernier recensement.
Quant aux facilités linguistiques, elles ont été introduites par une loi du 2 août 1963. Cette loi créait un arrondissement spécial composé de ces 6 communes. Selon l’interprétation littérale du texte légal (interprétation soutenue par l’un des principaux responsables de la législation linguistique de 1962-1963), cet arrondissement ne faisait partie d’aucune des quatre régions linguistiques.
Ce n’est qu’en 1971, par une révision constitutionnelle prévoyant le principe du rattachement de toutes les communes de Belgique à l’une des quatre régions, que l’arrondissement spécial a été supprimé et que les communes à facilités dépendent désormais de l’arrondissement administratif flamand de Hal-Vilvorde.
Ces facilités ont été octroyées en contrepartie de la fixation définitive de la frontière linguistique, en compensation du fait que les communes de la périphérie bruxelloise n’étaient pas ajoutées à la région bilingue de Bruxelles, ce qui aurait pu être le cas si l’on avait fait un dernier recensement.
Ainsi, ces facilités participent indéniablement d’un compromis global qui a eu lieu lors des négociations de 1962-1963. Ce compromis a conduit à mettre fin à la « tâche d’huile » que représentait Bruxelles aux yeux de la Flandre.
D’autre part, il convient de noter que, contrairement à l’interprétation défendue par certains politiques flamands, notamment dans les circulaires Peeters et Martens, les travaux préparatoires des lois de 1962 et 1963 révèlent le caractère définitif des facilités. Ainsi en est-il de la déclaration suivante :
« In ieder geval, hoe onangenaam ook sommige van die faciliteiten in de zes randgemeenten kunnen zijn, toch durf ik de verzekering geven dat in Vlaanderen niemand, zelfs niet de meest extremistisch gezinde, de toepassing van de wettelijke faciliteiten zal saboteren. Alle Vlamingen zijn het erover eens dat de wet loyaal naar de letter en naar de geest moet worden toegepast » (M. Van Cauwelaert, A.P., Sén., 25 juillet 1963, p. 1534).
De même, le rapport de la commission de l’intérieur de la Chambre concernant la loi de 1962 est on ne peut plus explicite : il s’agit « d’instaurer un statut durable pour les diverses communes de la frontière linguistique où d’importantes minorités linguistiques résident ».
Lors de la discussion générale de la loi de 1962 à la Chambre, le ministre de l’Intérieur, M. Gilson, a clairement mis l’accent sur le fait que de véritables droits étaient reconnus aux minorités des communes à facilités de la frontière linguistique, dans une logique, non »d’assimilation obligatoire » mais bien de « respect de la personnalité de chacun ».
Plus explicitement, il a déclaré qu’à partir du moment où le projet faisait droit à la revendication d’une fixation définitive de la frontière linguistique, « il était logique que (ce projet) garantisse aussi les droits de la minorité, c’est-à-dire en lui reconnaissant des droits définitifs ». Au Sénat, il a déclaré que prétendre au caractère provisoire des facilités serait « une déclaration de guerre au gouvernement », que les facilités constituent des « droits formels », que le projet en discussion vise à soustraire les minorités « au bon vouloir d’une majorité », en faisant bénéficier celles-ci « d’un régime légal, c’est-à-dire impératif » et que ce droit protecteur de la minorité, « quand le législateur le lui a reconnu, est imprescriptible ».
Dans le rapport au Sénat relatif à la loi de 1963, on ne trouve pas la moindre trace de la thèse du caractère provisoire des facilités, puisqu’il y est indiqué que la loi en projet entend soumettre certaines communes de la périphérie bruxelloise à « des régimes spéciaux en vue de la protection des minorités linguistiques » , c’est-à-dire à des régimes « accordant à la population francophone les facilités dont elle a besoin ».
Par ailleurs, lors des débats au Parlement sur les lois de 1962 et de 1963, un nombre relativement important d’intervenants ont expressément critiqué l’instauration par les projets de facilités sans limite dans le temps, ce qui confirme que dans l’esprit des parlementaires d’alors, il était bien question de mettre en place un système de facilités définitives et non pas provisoires.
Dès lors, outre l’absence totale de réversibilité ou du caractère provisoire des facilités linguistiques, il convient également de rappeler qu’elles ont été « bétonnées » dans la Constitution lors de la révision constitutionnelle de 1988 (art.129§2).
Enfin, depuis 2001, une règle de standstill par rapport aux garanties dont bénéficiaient les habitants des communes à facilités au moment de l’entrée en vigueur de cette loi a été intégrée dans la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. Ces dernières considérations démontrent un mouvement institutionnel inverse de celui souhaité par la Flandre : au fi l du temps, les facilités ont toujours été confortées dans leur existence.
Et pourtant, force est de constater que la Région flamande soutient le caractère provisoire de celles-ci, notamment par l’application constante des circulaires Peeters et Martens, qui n’en sont que le reflet.
Les tracasseries administratives des francophones de la périphérie se multiplient, que ce soit en matière électorale (convocations) ou simplement dans les contacts que ces citoyens ont avec leurs administrations communales. Le Code flamand du logement constitue aussi un bel exemple du non-respect par la Flandre des facilités linguistiques. Enfin, et bien que cela dépasse ce cadre, il n’est pas inutile de rappeler que les bourgmestres francophones de 4 communes à facilités n’ont toujours pas été nommés et que la Flandre défend une interprétation particulièrement pénalisante des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, empêchant de ce fait la nomination des professeurs des écoles francophones des communes à facilités. Au-delà de l’application des circulaires Peeters et Martens, l’intimidation à l’égard des francophones de la périphérie est en constante progression : faut-il rappeler que les habitants de certaines de ces communes, avant les élections législatives du 10 juin dernier, ont été invités à rapporter les tracts électoraux reçus en français dans leur boîte, auprès de leur administration communale ?
La liste est longue. Tous ces exemples convergent vers le même constat : les droits acquis des francophones de Flandre, et singulièrement des communes à statut spécial, ne sont pas respectés.
Il en est d’autant plus ainsi que la Flandre refuse catégoriquement la ratifi cation de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Il est piquant de relever à cet égard que les tenants du séparatisme pur et dur ou du confédéralisme -qui passe par la scission préalable en états distincts avant une nouvelle association- oublient que si leurs rêves se réalisaient, ils devraient ratifier ladite Convention pour rejoindre le concert européen des nations.
[ Extrait des développements de la proposition de loi spéciale visant à étendre le territoire de la Région bruxelloise et à rattacher la commune de Fourons à la province de Liège, déposée par M. Thierry Giet, Mme Karine Lalieux, MM. Yvan Mayeur et André Frédéric, le 26 septembre 2007 à la Chambre. ]