Observations sur l'étude de A. Wynants

Le site Fourons de « Retour à Liège » présente comme scientifique l'étude d'Armel Wynants, Fourons, Comines et les «facilités linguistiques » de 1995. Si l'on ne peut contester l'expérience en la matière de ce germaniste de l'université de Liège , durant les nombreuses années qu'il exerça la fonction de commissaire d'arrondissement, il s'avère que l'importante partie historique de son article est très incomplète . Il est troublant de constater que lorsqu'il chausse ses bottes de sept lieues, c'est toujours parce que cette tranche de l'histoire le gêne aux entournures. C'est ce que nous voulons montrer ici brièvement.

L'auteur commence, en étudiant d'entrée de jeu « la territorialité linguistique » , par constater que « partout où elles existent, les législations linguistiques ont été instaurées dans une optique défensive, à l'initiative de groupes linguistiques minorisés ou menacés ... et que, en Belgique, la plupart des réformes linguistiques et institutionnelles des dernières décennies résultent d'initiatives flamandes ». Le lien entre les deux me paraît évident : les Flamands, à la fois majoritaires et minorisés , ont été - et depuis bien plus longtemps que ces dernières décennies - demandeurs de lois, tout comme l'était dans l'ensemble du pays du point de vue social, la classe ouvrière pour se protéger de l'exploitation par le patronat.

M. Wynants, il faut tout de même le souligner aussi, a l'honnêteté de reconnaître que l'article 23 de la première Constitution belge garantissant la liberté de l'usage des langues n'offrait que « théoriquement des droits linguistiques identiques pour tous », parce que dans « un État régi par le suffrage censitaire ... cette disposition privilégiait exclusivement la langue des couches supérieures de la population, le français ». Et dès lors, poursuit-il, « pendant tout le 19iéme siècle le néerlandais/flamand était pratiquement exclu de la vie publique ». Bravo, mais ajoutons-y tout de même une bonne partie du 20ième avant que les effets du suffrage universel - entre 1893 et 1921 encore plural en faveur des mieux nantis et jusqu'en 1948 inaccessible aux femmes - se firent sentir. Il ne faut cependant pas attendre, comme le fait l'auteur, jusqu'en 1963/1966 pour voir consacré le principe général de la « territorialité linguistique », car celui-ci est clairement exprimé dès les années vingt et appliqué dans les lois linguistiques des années trente. C'est-à-dire celles qui firent tellement mal à l'élite aristocratique (deux bourgmestres nobles sur six) et leurs acolytes, auxquels M. Wynants ne fait pas allusion. Il ne fait pas mention d'un fait extrêmement important: le boycott par ces autorités de l'ancien régime - en outre soutenues depuis les ministères réactionnaires - de l'application des lois linguistiques destinées à une population de langue flamande qui devait souvent se contenter d'un bourgmestre et/ou d'un secrétaire communal de langue française. Comme je l'ai montré dans un livre cité ici-bas, cette population s'exprima, pendant les années trente, à trois reprises sur le statut linguistique de la région : lors du recensement, elle s'estime en majorité de langue flamande - comme de tradition séculaire dans cette région - et lors d'élections communales elle vote en majorité pour des listes flamandes, ce qui donne lieu soit à des majorités flamandes dans certaines communes soit à des minorités importantes de même tendance dans d'autres (Note de JLX: j'ai extrait et reproduit le chapitre consacré à Rémersdael par M. Baerten et je le commente ici). Les ténors conservateurs, qui tentèrent par tous les moyens de freiner le mouvement, sont alors les mêmes (de Sécillon, d'origine française mais naturalisé belge, en tête) que pendant les années soixante ou ce sont respectivement les ancêtres et les héritiers physiques et spirituels. On comprend dès lors la raison pour laquelle A.Wynants passe à côté de cet épisode. Car, le rappeler reviendrait à montrer l'origine conservatrice du groupe « Retour à Liège » issu de ce mouvement. Ses membres descendent en droite ligne des « couches supérieures » dont il a si bien expliqué la dictature linguistique pro-française. En sa qualité - et avec le défaut inhérent à celle-ci - de témoin privilégié, d'abord comme fils d'un secrétaire communal ( ensuite bourgmestre) francophile et de par ses propres fonctions que nous avons rappelées au début, l'auteur est trop bien placé pour ignorer ce lien. C'est donc sciemment qu'il l'occulte aux lecteurs du site et des membres de l'Institut qui porte le nom de Jules Destrée, de tendance socialiste, mais - comme chacun sait - prêt à demander, en 1912, au roi Albert de scinder la Belgique, dès que les Flamands commencèrent à représenter une masse électorale trop encombrante .

Il est évident que « le poids du nationalisme est énorme ». Mais l'auteur n'envisage que le seul nationalisme flamand , dont il a pourtant légitimé l'existence et la nécessité , et non le nationalisme belge, fondé sur la domination de la bourgeoisie francophone de Flandre et de celle de Wallonie  Celles-ci firent cause commune contre les « petits » : les ouvriers, agriculteurs, petits employés, enseignants, etc. et surtout ceux de Flandre , auxquels on imposait de surcroît une autre langue. Les habitants de Bruxelles et ceux de ses communes limitrophes étaient dans le même cas. Il faudrait être aveugle pour ne pas reconnaître que la Wallonie et Bruxelles, grâce à leur développement, respectivement industriel et administratif (secteur publique et privé) ont dénationalisé les Flamands : tant en Wallonie, à la recherche d'un emploi, qu' à Bruxelles pour pouvoir le conserver et grimper sur l'échelle sociale, en concurrence avec l' immigration wallonne importante attirée par les emplois. Qui ne remarque pas que l'élite politique wallonne actuelle , principalement du côté socialiste, est issue d'immigrants flamands ?Leurs noms l'attestent. C'est la conséquence de l'absence de toute facilité linguistique pour ces dizaines de milliers d'immigrés et leurs enfants. A l'inverse, les habitants des villas de la riche périphérie bruxelloise et les Fouronnais venant de Wallonie prétendent même exercer des fonctions dirigeantes tout en ignorant la langue de la majorité ou d'une minorité importante de leur commune (Happart n'a été que la pointe de l'iceberg). Deux poids et deux mesures.

Le débat sur le rattachement des Fourons au Limbourg en donne un exemple de plus. Tout d'abord, Harmel a menti en prétendant en pleine Chambre que ces communes n'avaient pas rejoint le Limbourg hollandais lors du partage de 1839, parce que des enquêtes avaient montré qu'ils étaient trop francophones. Non seulement il n'y eut pas d'enquêtes dans cette région à cette époque, mais sept ans plus tard le recensement de 1846 en démontre le caractère flamand largement prédominant . Comment les ténors wallons voyaient-ils la solution de rechange, donc au cas où ces communes resteraient dans la province de Liège en 1962 ? Les sénateurs Delbouille et Dehousse ne laissent planer aucun doute là-dessus : selon eux - et personne dans leur camp ne les a contredits dans la haute assemblée - les Fouronnais flamands n'auraient disposé d' aucune facilité linguistique (juillet 1962) ! Les Wallons, n'ont jamais été partisans de « la macédoine ». Les Flamands l'ont acceptée. Dans l'espoir que leurs coreligionnaires de Comines en jouiraient en quittant la Flandre pour entrer dans le Hainaut ? Question d'équité ? Dans la pratique, il n'en fut rien. D'une part, il y a des écoles financées par le gouvernement flamand pour l'autre communauté (même si, d'après les rapports d'inspecteurs, à Fourons les autorités francophiles ont tout fait pour rendre l'enseignement du néerlandais aussi mauvais que possible) ; de l'autre aucune , sauf si - comme à Comines - le gouvernement flamand la paie de sa poche. Mais lorsque ce dernier, tente de réglementer un peu l'application des facilités accordées aux francophones,on parle de nettoyage ethnique. Grâce à l'Internet, tout comme la langue à la fois le meilleur et le pire, c'est urbi et orbi que l'on peut avancer tout et n'importe quoi . Il suffit de lire ce site de propagande où figure l'article sous revue comme une approche scientifique. Nous y reviendrons à une prochaine occasion, parce que pour critiquer tous les « si » et les « mais » qui s'y trouvent , cela deviendrait trop long .

En attendant, concluons. Le mouvement flamand ou si l'on préfère le nationalisme flamand, a pu éviter que la Belgique entière ne devienne une doublure de la France, où Bretons, Basques et Flamands ont été sacrifiés : il a réussi à préserver, contre vents et marées et surtout grâce au suffrage universel, la langue néerlandaise et à la rendre officielle dans la région flamande et co-officielle dans la capitale, comme le français l'est dans la région wallonne et dans la région de Bruxelles-capitale . De même que la communauté française, mais avec plus de souplesse, la communauté flamande applique des facilités dans un certain nombre de communes , mais ne tient pas plus que la région wallonne à la multiplication de la « macédoine ». Comme chacun peut l'exiger légitimement de l'immigrant venu de l'autre bout de l'Europe ou du monde, il est normal que l'on prenne des mesures pour que, de part et d'autre de la frontière linguistique, chacun s'adapte aux us et coutumes et principalement au moyen de communication de la région où l'on vit et où l'on travaille. S'agissant d'un bourgmestre, échevin, conseiller communal ou d'un membre du CPAS, la moindre chose que l'on puisse exiger de lui ou d'elle, est qu'elle ou il comprenne et parle convenablement la langue officielle de sa commune. Même si l'on n'a pas assez légiféré sur ce qui est le bon sens même, il va sans dire que le respect pour le citoyen l'exige.

 

Jean Baerten (docteur en philosophie et lettres de l'ULB, professeur honoraire d'histoire à la VUB)

 

Bibliographie avec toutes les références aux publications ainsi qu'aux sources publiées et d'archives dans

J.Baerten, Harde Vlaamse koppen : de boeren van Voeren (1995) (avec conclusion en français et en allemand)

J.Baerten, Voeren: 1921-1995. De Belgische democratie op drift (1997) (avec conclusion en français)

Ces livres sont disponibles chez Maklu, Somersstraat, 13-15, 2018 Antwerpen et dans des bibliothèques publiques.

Sur Harmel, voir l'article de J. Baerten, Theorieën over het ontstaan van de Nederlands­Belgische grens in Limburg. Een kritische benadering, dans Limburg. Het oude Land van Loon, t. 80, 2001, pp.39-43

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