Ce
livre consacré à l'histoire des Fourons, depuis le moyen âge jusqu'à leur
passage de la province de Liège à celle de Limbourg, est divisé en une partie
socio-économique et une partie politico-linguistique.
Dans
la première partie nous avons réagi à l'annexion abusive de cette région au
Pays de Herve. En effet, depuis l'Ancien Régime, le paysage agraire était
considérablement différent de celui du pays de Herve: contrairement à
celui-ci, les champs occupaient un espace beaucoup plus considérable que les
prairies. C'est encore toujours ainsi, même si le recensement agricole inédit
de 1929 montre une extension des vergers fouronnais. En outre, dès le XVIIIe siècle,
une partie du pays de Herve et du duché de Limbourg dont il faisait partie
fut industrialisée. Si la partie wallonne du Pays de Dalhem participa à
cette tendance, celle-ci ne se manifesta ni dans les quatre villages dalhemois
ni dans les deux villages limbourgeois qui constituaient les Fourons à l'époque.
Certes, agriculteurs et journaliers de cette région trouvèrent un revenu ou un
supplément de revenu dans le filage de la laine, mais le tissage y était quasi
inexistant. L'élevage, pas seulement de moutons du reste, s'y pratiqua en étroite
symbiose avec la culture des champs.
Plus
attachés à leurs traditions, les paysans fouronnais ne se spécialisèrent
donc pas en production laitière comme leurs collègues herviens. La combinaison
agriculture-élevage fut d'ailleurs une caractéristique du pays de Dahlem tout
entier.
Même
la structure de la propriété y était différente de celle du pays de Herve.
Certes,
la petite propriété dominait dans les deux régions, mais - à l'exception de
Fouron-le-Comte - au XVIIIe siècle la plus grande superficie ne se trouvait pas
entre les mains des villageois, comme au Pays de Herve. Et lorsque, au XIXe siècle,
ce dernier fut envahi par les spéculateurs fonciers citadins, les Fouronnais se
taillèrent par contre une part plus considérable.
Certes,
les familles les mieux nanties dans le cadastre thérésien, même en se mariant
beaucoup entre elles, n'eurent pas toutes la chance de contribuer à cette
extension parce que, là aussi tout en résistant mieux, certaines souffrirent
de la concurrence du filage mécanique. D'autres, moins aisées auparavant,
comblèrent les lacunes. Cette continuité, cette stabilité dans la propriété
terrienne nous est apparue comme un trait caractéristique de la région des
Fourons. La meilleure illustration que nous pouvions en donner est la matrice
cadastrale de 1978 reproduite en annexe qui mentionne quantité de familles
possessionnées dans le même village et dans ses environs immédiats depuis le
XVIIIe siècle au moins.
Parmi
ces noms, certains ont une connotation romane. Ce phénomène est donc loin d'être
récent et se produit également dans le Limbourg hollandais voisin. Ces
familles ont dû s'adapter au caractère thiois de la région comme à
l'inverse des agriculteurs et ouvriers flamands se sont fondus dans la
population wallonne. Pour s'en rendre compte il suffit de consulter les
recensements les plus anciens du XIX siècle que nous avons étudiés dans la
deuxième partie du livre.
Ils
dénombrent très peu de francophones en 1846, ce qui est encore corroboré par
d'autres sources.
Les
Fouronnais, enracinés dans leurs traditions agricoles ont vécu sur eux-mêmes
comme agriculteurs. Qu'ils ont créé peu d'industrie et de commerce dans leur région,
les recensements du XIXe et du XXe siècles le démontrent également. De cet
examen attentif des chiffres nous avons pu déduire aussi, contrairement à
l'opinon largement répandue, qu'ils ont été attirés plus tard et moins
massivement par l'industrie liégeoise: 14% - le maximum atteint dans un seul
village seulement - est largement dépassé par beaucoup de villages de
l'arrondissement de Tongres. Etant donné que les Limbourgeois n'ont pas été
francisés pour autant, il est difficile d'admettre que la navette vers
l'arrondissement de Liège eût pareil effet sur les Fouronnais. La question
importante à laquelle nous avons tenté de répondre dans la deuxième partie
de l'ouvrage est de savoir si parallèlement à la continuité des traditions
agraires et terriennes, les Fouronnais nourrirent des traditions sur le plan
linguistique.
Cette
recherche nous l'avons menée à travers les archives et les sources imprimées
depuis l'Ancien Régime jusqu'à l'époque de l'annexion à la province de
Limbourg. Elle était d'autant plus nécessaire
que
beaucoup d'historiens et politologues wallons ne se privent pas de souligner le
caractère wallon et francophile des Fouronnais.
En
toute objectivité, force nous est de constater que cette thèse n'est
scientifiquement défendable ni pour ce qui concerne le duché de Limbourg ni
pour le comté ou Pays de Dalhem.
Ceux-ci
nous apparurent plus que d'autres principautés comme une préfiguration de la
Belgique contemporaine avec des "quartiers" flamands et wallons
(expression de l'époque), pourvus d'une organisation judiciaire et d'une
administration basées sur le principe de territorialité. Dès que, suite à
des événements militaires ou politiques, cet équilibre fut rompu, des hauts
responsables - fût-ce le gouverneur général espagnol ou l'intendant de Joseph
II - tentèrent de rétablir ce principe. Même les Français le respectèrent
dans une certaine mesure jusque vers 1800. Au sein de ce système unilingue le
haut banc de Fouron-le-Comte, d'abord tribunal criminel unique du comté de
Dalhem, joue un rôle important dans toute la partie flamande de celui-ci jusqu'à
Mheer et Noorbeek (actuellement dans le Limbourg hollandais).
Et
cela depuis le début du XVIIe siècle, époque à laquelle nous pouvons
maintenant situer la scission linguistique. L'échevinage de la petite ville de
Dalhem se chargea de cette fonction dans la partie wallonne du comté jusqu'à
son annexion aux Provinces-Unies depuis le Traité de partage (1661) jusqu'à
celui de Fontainebleau (1785). Les seuls à imposer le Français dans la région
furent les nobles auxquels les rois d'Espagne et leurs successeurs autrichiens
vendirent leurs domaines.
Cela
n'eut aucun impact sur les habitants qui conclurent leur actes devant les échevins
et les notaires en langue flamande. Constate-t-on une scission linguistuique
aussi marquée dans le duché de Limbourg auquel d'aucuns ont tendance à
attribuer un caractère wallon dominant ?
Les
villages de Teuven et de Remersdaal (à l'époque encore sous Hombourg) firent
partie du Banc de Montzen, un des "bancs flamands" de la principauté
limbourgeoise. Au tribunal souverain de Limbourg on traitait les affaires
judiciaires suivant le rôle linguistique
dans
lequel l'affaire se situait : le Français n'était utilisé que pour le seul
"quartier wallon" (la région de Herve) et celle d'Esneux. Encore sous
Joseph II il était inconcevable pour le gouvernement qu'un fonctionnaire ne
sachant pas le flamand pût rester en place. Le baron de Fromenteau en fit les
frais lorsqu'on avait, contrairement aux traditions, crée des districts
multilingues dans le cercle LimbourgGueldre.
Ce
n'est qu'à partir de Napoléon que l'on enleva à cette région et notamment
aux Fourons leurs traditions et leurs structures. Les cantons unilingues mis
en place dès l'occupation française furent remplacés par des cantons
soi-disant bilingues. La région fouronnaise fut à nouveau et plus que jamais
écartelée: deux villages dans le canton de Dalhem de l'arrondissement de Liège
et quatre dans le canton d'Aubel d'un arrondissement ayant pour chef-lieu une
ville très éloignée - même Action Fouronnaise en convient - à savoir
Verviers.
Ni
le Royaume des Pays-Bas ni la Belgique ne changèrent quoi que ce soit à cette
situation après que la province de Liège succéda au département de l'Ourthe
auquel les villages fouronnais furent rattachés par hasard alors que
logiquement il auraient dû, tout comme Mheer et Noorbeek, dépendre de
Maastricht, chef -lieu du département de la Meuse inférieure. Ainsi ils
feraient partie du Limbourg néerlandais et le hérisson fouronnais n'aurait
jamais troublé la politique belge.
Les
choses étant réglées autrement, les Fouronnais appartenant à une écrasante
majorité au groupe linguistique qui, tant dans le Limbourg belge que dans le
Limbourg néerlandais, avait droit à la langue néerlandaise comme langue de
culture, furent frustrés de ce droit sauf pour l'enseignement primaire et
l'Eglise, bien que là aussi il fut mis fin à la dépendance pluriséculaire du
doyenné de Maastricht: à partir de 1801 Visé et Aubel furent désignés comme
leurs doyennés. Et en ce qui concerne l'enseignement, il ne fut crée aucun
enseignement moyen en néerlandais dans la province de Liège pour les milliers
de Flamands dont les Fouronnais qui y vécurent. Quant à l'enseignement
primaire en néerlandais suivi encore par 64% en 1962, il ne fut inspecté
depuis Tongres qu'à partir de 1951 (non sans provoquer la colère des
francophones qui y virent le spectre de l'annexion au Limbourg). Le fait que
le Boerenbond flamingant eut l'occasion de s'implanter dès 1894 dans les
villages fouronnais prouve bien que ces paysans répondirent favorablement aux
structures flamandes qui leur étaient offertes.
Le
Davidsfonds y fut également implanté, notamment avec l'abbé Veltmans
conscient des besoins sociaux et culturels de ses ouailles. Bien sûr, les deux
occupations allemandes tentèrent un rattrapage, mais elles eurent un effet néfaste
sur la population. Venant de l'occupant le rattachement au Limbourg était mal
vu. C'est le drame de tout le mouvement flamand, les Fourons ne purent y échapper.
On
s'accorde à considérer que les mauvais résultats du recensement de 1947 y
trouvent leur origine, mais justement, en ce qui concerne la manière de présenter
les recensements nous nous opposons à la plupart des auteurs francophones parce
qu'ils ne tiennent compte que des unilingues (où ils sont majoritaires) ou de
la langue usuelle sur laquelle leur seule présence influe bien entendu, les
Flamands (devenus massivement bilingues, voire même trilingues) leur faisant la
politesse de leur parler en Français. On peut très bien être Flamand pur et
dur sans pousser l'impolitesse jusqu'à bouder les voisins qui ne font rien pour
s'adapter.
Les
francophones de Fouron - tel Jules Goffard de l'Action Fouronnaise - se font des
soucis quant à leur avenir, l'apprauvissement culturel et l'émigration qui
pourrait en résulter. A aucun instant ils ne se rendent compte de ce que ce
sont là des maux dont la population néerlandophone représentant une majorité
écrasante a souffert depuis 1800, une fois qu'on l'avait coupée de ses
traditions.
La
Belgique de papa n'ayant rien fait pour elle, c'est le mouvement flamand qui
prit la relève pour la libérer d'une tutelle et d'entraves dont seul le hasard
d'une frontière tracée un peu trop au nord était responsable. Qu'on ne
continue pas - ce qui se fait trop souvent - à traiter les Fouronnais comme des
asexués linguistiques. Il suffit de leur donner les structures pour qu'ils s'épanouissent,
tout comme la communauté germanophone. Même parmi les Flamands de l'endroit et
d'ailleurs le défaitisme s'installe quelquefois. C'est un sentiment que ce
livre peut combattre tant ses conclusions sont réconfortantes. Cet ouvrage
essaie d'apporter une assise scientifique à l'opinion opposée à celle qui est
répandue sans fondement aucun. Il suffit de
lire
la note que même un professeur d'université, Jean Lejeune, rédigea en 1962
pour se rendre compte de la pauvreté du dossier du côté wallon. Que
d'amertume superflue au sujet de l'immigration hollandaise, alors que nous
avons pu montrer qu'il s'agit d'une tradition dans cette région fouronnaise qui
est le prolongement du Limbourg néerlandais ! Les collègues hollandais qui
crurent pouvoir expliquer la frontière entre les deux pays par l'élevage à la
manière hervienne n'avaient pas lu Ruwet d'une façon assez critique. En somme,
c'est pour avoir oublié les traditions, fruit de l'expérience de l'Ancien Régime,
que l'occupation française a créé un problème chronique dans cette belle et
paisible région rurale. On a maintenu et aggravé le problème pour avoir préféré
maintenir trop longtemps la solution française inadéquate plutôt que
d'accepter celle de l'occupant allemand.
Ce
qui plus est, on accepte qu'une partie de la province de Liège passât à la
communauté germanophone alors que l'on refuse du côté wallon que Fouron
retournât enfin à la communauté néerlandophone à laquelle elle appartient
depuis toujours, si l'on excepte bien entendu les nobles fransquillons étrangers
à la région. A vrai dire, nous n'avons pas trouvé parmi les propriétaires
des XVIIIe et XIXe siècles les ancêtres du baron de Sécillon... C'est
pourtant la clique de ce bourgmestre qui mit en route la résistance
anti-limbourgeoise sur laquelle - en se trompant de cible - le mouvement
populaire wallon embraya. La suite vous la connaissez : elle s'appelle électoralisme.
Retour à la page "critiques de Jean Baerten"