Dans son second livre « VOEREN 1921 – 1995 – De Belgische democratie op DRIFT », le Professeur Jean BAERTEN présente la conclusion suivante : 

Le problème fouronnais a été expliqué de diverses manières. L'explication économique, déjà écartée dans mon livre précédent, me paraît, après un nouvel examen, toujours aussi insuffisante les Fouronnais n'ont été dépendants de l'industrie liègeoise que plus tard et en une proportion moindre par rapport aux Limbourgeois aux­quels on les a rattachés. Ce facteur me paraît maintenant d'autant moins apte à expliquer la francisation en tenant compte de l'argumen­tation développée dans la brochure publiée par "Le Grand Liège". Le ministre Gilson, qui refusa de voter en 1962 son propre projet de loi amendé, se dit convaincu par celle-ci[1] :"Le recensement de 1930 s'enquérait de la langue dont il est fait communément usage. Les habi­tants de la Voer répondirent en toute sincérité : le flamand. On avait tout simplement omis d'attirer leur attention sur l'emploi de la langue véhiculaire dans les relations économiques. Celle-ci était déjà et prati­quement depuis un siècle, le français (...). Les six communes furent considérées comme unilingues flamandes (...). Il s'ensuivit une grève administrative perlée et, instruite par l'expérience, une majorité écra­sante déclara, en 1947, parler le plus fréquemment le français. (...) La Voer s'était vengée". Contrairement au ministre, je retiens de ce texte

1° En tant que Flamands les Fouronnais pouvaient, pendant un siè­cle, entretenir parfaitement des relations économiques avec des fran­cophones.

2° On ne voit pas pourquoi il fallût, par une grève administrative, refuser à ces Flamands une administration conforme à leur langue maternelle, sauf si les grévistes ignoraient la langue néerlandaise ou ne voulaient pas l'utiliser.

D'autres refusèrent, par ailleurs, de reconnaître le patois local comme Néerlandais. On aurait pu en dire autant du Tongrois ou du Gantois etc. Le refus d'accorder cette même langue de culture aux Fouronnais, parce qu'ils parlaient le "plat", fait partie de l'arsenal idéologique utilisé aussi ailleurs afin de maintenir le français comme seule langue de la science, du droit et de l'enseignement.

L'opposition entre Belgicisme et Flamingantisme proposée par le sociologue néerlandais Hans van Laar dans son livre de 1988, ne constitue qu'un phénomène marginal qui se greffa sur l'ideologie dominante développée par les leaders politiques. Dans un article en français, publié en 1993[2], il développa un point de vue marxiste. Pour les richissimes nobillons de Sécillon et de Fürstenberg, cette explication matérialiste du fondement de leur leadership politique pourrait convenir. Il faut, à mon avis, avant de pouvoir généraliser ce point de vue, davantage de recherche sociographique que ce qui trans­paraît dans cet article dépourvu de notes.

Ma thèse consiste à nier qu'il y eût jamais un problème fouronnais dans le sens que la population dans son ensemble aurait souffert de la législation linguistique. Seuls ses leaders avaient des problèmes avec elle, soit parce qu'eux-mêmes ignoraient le Néerlandais soit que leur personnel était incapable de s'exprimer en cette langue ou refusait de l'employer. Ailleurs en Flandre on avait également dû se débarrasser d'administrations francisées au service d'une bourgeoisie francophile. Evidemment, de par la dépendance accidentelle de la région fouron­naise de la province de Liège - alors que le Limbourg néerlandais lui eût mieux convenu - les leaders y disposèrent de plus de liberté de mouvement pour saboter les lois linguistiques. Pourquoi ceux qui, dans les années '30, prônèrent le bilinguisme lorsque leurs communes furent classées unilingues néerlandaises, se fâchèrent-ils tant contre Grammens quand celui-ci vint, en 1930, exiger le bilinguisme des avis et communications, instaurée par la loi de 1921? Les bourgmestres, qui avaient toujours appliqué le système bien connu "pour les Flamands la même chose", exigèrent alors des droits pour l'ancienne minorité priviligiée. Ils refusèrent de s'adapter et firent en sorte que, au moyen de fortes pressions sociales et d'ideologie belgiciste décrivant la néerlandisation comme anti-belge, une partie de la population se montrât aussi conservatrice qu'eux. Pourtant, il y eut également d'an­ciens combattants parmi les flamingants qui, au cours des années vingt et surtout des années trente, obtinrent aux élections d'importantes minorités, voire même des majorités. On utilisa la répression de l'après-guerre pour liquider, sans raison, des figures telles que London et Walpot, Teney n'y échappant que de justesse. Même un flamingant des plus modérés, tel que Henri Broers, bourgmestre de Fouron-le-Comte (1932-1941), se permit de critiquer l'unilinguisme du juge de paix de Dalhem, mais cela ne servit à rien: en 1962 la situation était la même!

Il y avait évidemment des gens raisonnant à l'envers: si nous avons besoin du Français pour la justice, l'administration et l'enseignement moyen, nous avons avantage à bien le connaître. Dès lors, plus on dis­posait de temps pour saboter l'application des lois - avec le soutien des ministres francophones-, plus on vit croître le nombre de ses adhé­rents. Ce fut une réaction en chaîne. Le fait que, une fois les protecteurs partis pour Londres, pendant la guerre, on fut enfin obligé de néerlan­diser, contribua à confondre cela avec une attitude pro-allemande, alors que le contraire était vrai. Cette réaction eût été superflue si on avait écouté, avant 1940 et non après, la Commission permanente de contrôle linguistique. Un rexiste tel que de Sécillon était évidemment tout aussi allergique que ses co-partisans de Flandre[3] à toutes les nouveautés que, suite à l'application du suffrage universel, le Parlement instaura afin de rencontrer les desiderata des Flamands. En commun avec de Fürstenberg et leur secrétaire Kevers, de Sécillon in­fluença autant que possible les autres bourgmestres. De ce qu'on fit croire n'importe quoi à la population, voire même à ses élus, nous nous en sommes rendus compte à la lecture du rapport de l'enquête liégeoi­se en 1962, dont nous avons rejeté les conclusions tant dans le domaine économique que sur le plan linguistique et culturel. Quel lavage de cerveau! Il s'en faut du reste beaucoup que la population fût francisée

non seulement le bourgmestre Teney nous en livre le témoignage avant le transfert; mais s'il en avait été autrement, on ne comprendrait pas pourquoi "Action Fouronnaise" dût organiser, dans les années '70 et '80, des leçons de Français destinées aux adultes. Il est compréhen­sible que, très attachée à son dialecte thiois, une partie de la popula­tion fût effrayée par la "néerlandisation". On trouve, en effet, sembla­ble distanciation par rapport à la "hollandisation" dans le village voi­sin, Mheer dans le Limbourg Néerlandais. C'est typique des régions excentriques. Même si, à Mheer, l'on correspondait longtemps en Français (et en Allemand), alors qu'on y parlait le même patois que dans les Fourons, le Néerlandais finit par prendre le dessus grâce au fait qu'un enseignement Néerlandais fut organisé dans la région tant au niveau primaire que moyen[4]. La province de Liège favorisa, par contre, la francisation en n'offrant aucun enseignement moyen à ses milliers d'habitants flamands. Afin de ne pas perdre une année dans les écoles secondaires francophones, un certain pourcentage de la population scolaire des Fourons fréquentait les écoles primaires des villages wallons voisins. Dans le but d'empêcher la ruine de l'école communale, Remersdaal décida, en 1954, de la transformer en école de transmutation. Le dernier chaînon de la réaction fut atteint, dix ans plus tard, dans cinq des six villages: un enseignement en français aux niveaux frôbelien et primaire. Cela était tout aussi illégal que ce que Remersdaal avait improvisé. Et donc le gouverneur du Limbourg, comme son collègue liégeois l'avait fait auparavant, cassa toutes ces décisions. Certes, depuis le transfert, des facilités linguistiques avaient été accordées aux francophones, mais celles-ci devaient s'intégrer dans la législation existante : contrôle de la déclaration des chefs de famille (qui devaient être seize) et absence d'école francophone dans un rayon de 4 km.

A nouveau les ministres wallons s'écartèrent de la légalité tandis que leurs collègues flamands fermèrent les yeux : Collard, qui rattacha pourtant les Fourons au canton scolaire de Tongres avant leur transf­ert au Limbourg, ne suivit pas la décision du gouverneur de Liège à l'encontre de Remersdaal et le gouvernement Leburton-Tindemans-De Clercq réduisit par arrêté royal la distance légale de moitié. Ainsi le ministre Calewaert put empêcher l'envoi d'un commissaire spécial. Comme le Conseil d'Etat eut besoin de trois ans pour invalider l'arrêté royal, les écoles acquirent droit de cité grâce à des subsides officiels, jugés ensuite illicites. Au sujet du personnel enseignant recruté en Wallonie, l'inspection ne fut pas tendre : il ne disposait pas de la con­naissance approfondie du Néerlandais lui permettant d'enseigner cette langue réglementairement renforcée. Dès lors la deuxième langue fut ou bien délaissée ou bien massacrée pour des élèves en majorité flamands qui étaient parvenus à déjouer le contrôle linguistique tron­qué. Ainsi, les adeptes du bilinguisme sacrifièrent, pour des raisons politiques, une génération entière en la dénationalisant. Du fait que maintenant les écoles francophones dépendent, par le truchement d'ASBL, de la communauté française - ce qui est également illégal - on peut déduire qu'il y a encore de bonnes raisons de douter de la qualité des leçons de Néerlandais imposées par la loi. Si les plans de la Ministre-présidente passent, la langue Néerlandaise pourra doréna­vant être remplacée par d'autres. En définitive, la démocratie belge n'est-elle pas à la dérive? C'est à cette conclusion que l'on aboutit éga­lement sur le plan administratif. D'accord, José Happart fut démis de ses fonctions de bourgmestre pour méconnaissance du Néerlandais, mais son carroussel a tourné longtemps à cause de l'hésitation des par­tis flamands au pouvoir à faire tomber le gouvernement. Finalement, le pays s'est tout de même trouvé au bord du gouffre parce que les par­tis francophones voulaient (et veulent toujours) maintenir leur influ­ence dans le territoire que la Constitution reconnaît comme flamand. Sous la pression de l'ancien bourgmestre des concessions menaçant le principe de territorialité ont été concédées, en 1988, par la loi dite de pacification et, en 1995, par l'arrêté royal dit des antennes. Aussi long­temps que des excellences francophones font des visites officielles dans les Fourons nous nous trouvons dans la "Belgique de papa". A présent: "Retour à Liège" tente de réaliser "de fait" le statut bi-région­al biscornu dont il rêve depuis 1992. Lors d'une négociation commu­nautaire ultérieure il ne faudra plus que signer des textes mis au goût du jour!

De 1921 à 1995 l'histoire des Fourons nous montre la même image désolante: la démocratie belge à la dérive! Dans un certain sens, le pré­sident du P.R.L. Louis Michel avait raison lorsqu'il proclama en 1986 "Happart, ce sont les Flamands qui l'ont fabriqué "[5]. Non pas s'il estime qu'ils ne devaient rien entreprendre contre lui, afin de ne pas le rendre célèbre. Mais plutôt, si l'on considère que les politiciens fla­mands au pouvoir, trop longtemps enfermés dans des partis bilingues, se sont montrés trop laxistes envers ses prédécesseurs, les de Sécillon et consorts - sur les traces desquelles il s'est lancé -, et envers lui-même pour encore lui donner l'occasion, depuis son siège d'échevin, dont le Conseil d'État l'avait pourtant également exclu, de menacer de remet­tre en marche le carrousel.

Les électeurs fouronnais semblent cependant petit à petit se concilier avec le Limbourg. Cela s'est manifesté d'abord dans les élections pro­vinciales et parlementaires[6]. En ce qui concerne la commune, ils ont, en 1994, réduit à un siège la majorité pro-liègeoise. A présent, on compte également à nouveau plus d'élèves dans l'enseignement obliga­toire néerlandophone que dans le francophone. Raison de plus pour ne pas céder sur le statut et de se montrer vigilant pour que, d'ici l'an 2000, l'influence wallonne n'y augmente subrepticement. Car, il est évident que c'est le but du dernier A.R., arraché au lendemain des dernières élections. Certes, les interprétations divergent - euro oblige - mais on ne nous fera pas croire que la partie demanderesse se serait contentée d'un rat mort. A nouveau, c'est le Conseil d'État qu'on attend pour confirmer ou infirmer les doutes de différents juristes flamands. Pour indispensa­ble qu'il soit, il est d'une lenteur crispante.

Si seulement on avait envoyé un commissaire spécial pour mettre de Sécillon au pas, la Belgique et les Fourons s'en porteraient mieux, surtout si on avait écouté, en 1932, A. de Schryver pour faire coïncider les frontières provinciales avec la frontière linguistique. Happart n'aurait jamais existé et ce livre non plus. Les peuples heureux n'ont en effet, pas d'histoire.

  Jean BAERTEN


[1] Les communes de la Voer et la frontière linguistique, brochure uitgegeven door « Le Grand-Liège », geciteerd in Parlementaire Handelingen, Senaat, 17 juli 1962, blz.1460

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[2] H. van LAAR, in UBAC, Génération Fourons, o.m. blz 47 : « La conclusion la plus importante que l’on peut dégager de ce paragraphe est que le pouvoir social des pro-français et des pro-flamands ne différait guère. La majorité numérique que les pro-français ont réussi à acquérir était essentiellement due au fait qu’ils contrôlaient plus de sources de pouvoir socio-économique que les pro-flamands. Ils ont pu rallier à leur cause les fermiers et les ouvriers qui louaient une de leurs maisons ».

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[3] J.-M. ETIENNE, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940 (Parijs, 1968), blz. 57, die « De Schelde » van 8 mei 1936 citeert.

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[4] J. LEERSSEN m.m.v.w. W. SENDEN, Historische verkenning van Mheer (Maastricht, 1995), blz. 118 e.v.  

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[5] La Libre Belgique, 12 augustus 1986.

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[6] Reeds in 1971 was de tegenstelling enorm tussen de gemeentelijke verkiezingen van 1970 (35 % N – 64 % F) en die voor de provincie (43,5 N – 56,5 F) en de Kamer (43,4 N – 56, 6 F). In 1981 was er maar een verschil meer van 4 stemmen (49,9 N – 50,1 F), maar, een jaar later, met de gemeenteverkiezingen liep dat op tot (37,5 N – 62,0 F). Adj.-arrondissementscommissaris meldde ons voor 1994: 44,68 N – 55,32 F waarvoor onze dank.  

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