Le
problème fouronnais a été expliqué de diverses manières. L'explication économique,
déjà écartée dans mon livre précédent, me paraît, après un nouvel
examen, toujours aussi insuffisante les Fouronnais n'ont été dépendants de
l'industrie liègeoise que plus tard et en une proportion moindre par rapport
aux Limbourgeois auxquels on les a rattachés. Ce facteur me paraît
maintenant d'autant moins apte à expliquer la francisation en tenant compte de
l'argumentation développée dans la brochure publiée par "Le Grand Liège".
Le ministre Gilson, qui refusa de voter en 1962 son propre projet de loi amendé,
se dit convaincu par celle-ci[1]
:"Le recensement de 1930 s'enquérait de la langue dont il est fait communément
usage. Les habitants de la Voer répondirent en toute sincérité : le
flamand. On avait tout simplement omis d'attirer leur attention sur l'emploi de
la langue véhiculaire dans les relations économiques. Celle-ci était déjà
et pratiquement depuis un siècle, le français (...). Les six communes furent
considérées comme unilingues flamandes (...). Il s'ensuivit une grève
administrative perlée et, instruite par l'expérience, une majorité écrasante
déclara, en 1947, parler le plus fréquemment le français. (...) La Voer s'était
vengée". Contrairement au ministre, je retiens de ce texte
1°
En tant que Flamands les Fouronnais pouvaient, pendant un siècle, entretenir
parfaitement des relations économiques avec des francophones.
2°
On ne voit pas pourquoi il fallût, par une grève administrative, refuser à
ces Flamands une administration conforme à leur langue maternelle, sauf si les
grévistes ignoraient la langue néerlandaise ou ne voulaient pas l'utiliser.
D'autres
refusèrent, par ailleurs, de reconnaître le patois local comme Néerlandais.
On aurait pu en dire autant du Tongrois ou du Gantois etc. Le refus d'accorder
cette même langue de culture aux Fouronnais, parce qu'ils parlaient le
"plat", fait partie de l'arsenal idéologique utilisé aussi
ailleurs afin de maintenir le français comme seule langue de la science, du
droit et de l'enseignement.
L'opposition
entre Belgicisme et Flamingantisme proposée par le sociologue néerlandais Hans
van Laar dans son livre de 1988, ne constitue qu'un phénomène marginal qui se
greffa sur l'ideologie dominante développée par les leaders politiques. Dans
un article en français, publié en 1993[2],
il développa un point de vue marxiste. Pour les richissimes nobillons de Sécillon
et de Fürstenberg, cette explication matérialiste du fondement de leur
leadership politique pourrait convenir. Il faut, à mon avis, avant de pouvoir généraliser
ce point de vue, davantage de recherche sociographique que ce qui transparaît
dans cet article dépourvu de notes.
Ma
thèse consiste à nier qu'il y eût jamais un problème fouronnais dans le sens
que la population dans son ensemble aurait souffert de la législation
linguistique. Seuls ses leaders avaient des problèmes avec elle, soit parce
qu'eux-mêmes ignoraient le Néerlandais soit que leur personnel était
incapable de s'exprimer en cette langue ou refusait de l'employer. Ailleurs en
Flandre on avait également dû se débarrasser d'administrations francisées au
service d'une bourgeoisie francophile. Evidemment, de par la dépendance
accidentelle de la région fouronnaise de la province de Liège - alors que le
Limbourg néerlandais lui eût mieux convenu - les leaders y disposèrent de
plus de liberté de mouvement pour saboter les lois linguistiques. Pourquoi ceux
qui, dans les années '30, prônèrent le bilinguisme lorsque leurs communes
furent classées unilingues néerlandaises, se fâchèrent-ils tant contre
Grammens quand celui-ci vint, en 1930, exiger le bilinguisme des avis et
communications, instaurée par la loi de 1921? Les bourgmestres, qui avaient
toujours appliqué le système bien connu "pour les Flamands la même
chose", exigèrent alors des droits pour l'ancienne minorité priviligiée.
Ils refusèrent de s'adapter et firent en sorte que, au moyen de fortes
pressions sociales et d'ideologie belgiciste décrivant la néerlandisation
comme anti-belge, une partie de la population se montrât aussi conservatrice
qu'eux. Pourtant, il y eut également d'anciens combattants parmi les
flamingants qui, au cours des années vingt et surtout des années trente,
obtinrent aux élections d'importantes minorités, voire même des majorités.
On utilisa la répression de l'après-guerre pour liquider, sans raison, des
figures telles que London et Walpot, Teney n'y échappant que de justesse. Même
un flamingant des plus modérés, tel que Henri Broers, bourgmestre de
Fouron-le-Comte (1932-1941), se permit de critiquer l'unilinguisme du juge de
paix de Dalhem, mais cela ne servit à rien: en 1962 la situation était la même!
Il
y avait évidemment des gens raisonnant à l'envers: si nous avons besoin du
Français pour la justice, l'administration et l'enseignement moyen, nous avons
avantage à bien le connaître. Dès lors, plus on disposait de temps pour
saboter l'application des lois - avec le soutien des ministres francophones-,
plus on vit croître le nombre de ses adhérents. Ce fut une réaction en chaîne.
Le fait que, une fois les protecteurs partis pour Londres, pendant la guerre, on
fut enfin obligé de néerlandiser, contribua à confondre cela avec une
attitude pro-allemande, alors que le contraire était vrai. Cette réaction eût
été superflue si on avait écouté, avant 1940 et non après, la Commission
permanente de contrôle linguistique. Un rexiste tel que de Sécillon était évidemment
tout aussi allergique que ses co-partisans de Flandre[3]
à toutes les nouveautés que, suite à l'application du suffrage universel, le
Parlement instaura afin de rencontrer les desiderata des Flamands. En commun
avec de Fürstenberg et leur secrétaire Kevers, de Sécillon influença
autant que possible les autres bourgmestres. De ce qu'on fit croire n'importe
quoi à la population, voire même à ses élus, nous nous en sommes rendus
compte à la lecture du rapport de l'enquête liégeoise en 1962, dont nous
avons rejeté les conclusions tant dans le domaine économique que sur le plan
linguistique et culturel. Quel lavage de cerveau! Il s'en faut du reste beaucoup
que la population fût francisée
non
seulement le bourgmestre Teney nous en livre le témoignage avant le transfert;
mais s'il en avait été autrement, on ne comprendrait pas pourquoi "Action
Fouronnaise" dût organiser, dans les années '70 et '80, des leçons de
Français destinées aux adultes. Il est compréhensible que, très attachée
à son dialecte thiois, une partie de la population fût effrayée par la
"néerlandisation". On trouve, en effet, semblable distanciation par
rapport à la "hollandisation" dans le village voisin, Mheer dans le
Limbourg Néerlandais. C'est typique des régions excentriques. Même si, à
Mheer, l'on correspondait longtemps en Français (et en Allemand), alors qu'on y
parlait le même patois que dans les Fourons, le Néerlandais finit par prendre
le dessus grâce au fait qu'un enseignement Néerlandais fut organisé dans la région
tant au niveau primaire que moyen[4].
La province de Liège favorisa, par contre, la francisation en n'offrant aucun
enseignement moyen à ses milliers d'habitants flamands. Afin de ne pas perdre
une année dans les écoles secondaires francophones, un certain pourcentage de
la population scolaire des Fourons fréquentait les écoles primaires des
villages wallons voisins. Dans le but d'empêcher la ruine de l'école
communale, Remersdaal décida, en 1954, de la transformer en école de
transmutation. Le dernier chaînon de la réaction fut atteint, dix ans plus
tard, dans cinq des six villages: un enseignement en français aux niveaux frôbelien
et primaire. Cela était tout aussi illégal que ce que Remersdaal avait
improvisé. Et donc le gouverneur du Limbourg, comme son collègue liégeois
l'avait fait auparavant, cassa toutes ces décisions. Certes, depuis le
transfert, des facilités linguistiques avaient été accordées aux
francophones, mais celles-ci devaient s'intégrer dans la législation existante
: contrôle de la déclaration des chefs de famille (qui devaient être seize)
et absence d'école francophone dans un rayon de 4 km.
A
nouveau les ministres wallons s'écartèrent de la légalité tandis que leurs
collègues flamands fermèrent les yeux : Collard, qui rattacha pourtant les
Fourons au canton scolaire de Tongres avant leur transfert au Limbourg, ne
suivit pas la décision du gouverneur de Liège à l'encontre de Remersdaal et
le gouvernement Leburton-Tindemans-De Clercq réduisit par arrêté royal la
distance légale de moitié. Ainsi le ministre Calewaert put empêcher l'envoi
d'un commissaire spécial. Comme le Conseil d'Etat eut besoin de trois ans pour
invalider l'arrêté royal, les écoles acquirent droit de cité grâce à des
subsides officiels, jugés ensuite illicites. Au sujet du personnel enseignant
recruté en Wallonie, l'inspection ne fut pas tendre : il ne disposait pas de la
connaissance approfondie du Néerlandais lui permettant d'enseigner cette
langue réglementairement renforcée. Dès lors la deuxième langue fut ou bien
délaissée ou bien massacrée pour des élèves en majorité flamands qui étaient
parvenus à déjouer le contrôle linguistique tronqué. Ainsi, les adeptes du
bilinguisme sacrifièrent, pour des raisons politiques, une génération entière
en la dénationalisant. Du fait que maintenant les écoles francophones dépendent,
par le truchement d'ASBL, de la communauté française - ce qui est également
illégal - on peut déduire qu'il y a encore de bonnes raisons de douter de la
qualité des leçons de Néerlandais imposées par la loi. Si les plans de la
Ministre-présidente passent, la langue Néerlandaise pourra dorénavant être
remplacée par d'autres. En définitive, la démocratie belge n'est-elle pas à
la dérive? C'est à cette conclusion que l'on aboutit également sur le plan
administratif. D'accord, José Happart fut démis de ses fonctions de
bourgmestre pour méconnaissance du Néerlandais, mais son carroussel a tourné
longtemps à cause de l'hésitation des partis flamands au pouvoir à faire
tomber le gouvernement. Finalement, le pays s'est tout de même trouvé au bord
du gouffre parce que les partis francophones voulaient (et veulent toujours)
maintenir leur influence dans le territoire que la Constitution reconnaît
comme flamand. Sous la pression de l'ancien bourgmestre des concessions menaçant
le principe de territorialité ont été concédées, en 1988, par la loi dite
de pacification et, en 1995, par l'arrêté royal dit des antennes. Aussi longtemps
que des excellences francophones font des visites officielles dans les Fourons
nous nous trouvons dans la "Belgique de papa". A présent:
"Retour à Liège" tente de réaliser "de fait" le statut
bi-régional biscornu dont il rêve depuis 1992. Lors d'une négociation communautaire
ultérieure il ne faudra plus que signer des textes mis au goût du jour!
De
1921 à 1995 l'histoire des Fourons nous montre la même image désolante: la démocratie
belge à la dérive! Dans un certain sens, le président du P.R.L. Louis
Michel avait raison lorsqu'il proclama en 1986 "Happart, ce sont les
Flamands qui l'ont fabriqué "[5].
Non pas s'il estime qu'ils ne devaient rien entreprendre contre lui, afin de ne
pas le rendre célèbre. Mais plutôt, si l'on considère que les politiciens
flamands au pouvoir, trop longtemps enfermés dans des partis bilingues, se
sont montrés trop laxistes envers ses prédécesseurs, les de Sécillon et
consorts - sur les traces desquelles il s'est lancé -, et envers lui-même pour
encore lui donner l'occasion, depuis son siège d'échevin, dont le Conseil d'État
l'avait pourtant également exclu, de menacer de remettre en marche le
carrousel.
Les
électeurs fouronnais semblent cependant petit à petit se concilier avec le
Limbourg. Cela s'est manifesté d'abord dans les élections provinciales et
parlementaires[6].
En ce qui concerne la commune, ils ont, en 1994, réduit à un siège la majorité
pro-liègeoise. A présent, on compte également à nouveau plus d'élèves dans
l'enseignement obligatoire néerlandophone que dans le francophone. Raison de
plus pour ne pas céder sur le statut et de se montrer vigilant pour que, d'ici
l'an 2000, l'influence wallonne n'y augmente subrepticement. Car, il est évident
que c'est le but du dernier A.R., arraché au lendemain des dernières élections.
Certes, les interprétations divergent - euro oblige - mais on ne nous fera pas
croire que la partie demanderesse se serait contentée d'un rat mort. A nouveau,
c'est le Conseil d'État qu'on attend pour confirmer ou infirmer les doutes de
différents juristes flamands. Pour indispensable qu'il soit, il est d'une
lenteur crispante.
Si
seulement on avait envoyé un commissaire spécial pour mettre de Sécillon au
pas, la Belgique et les Fourons s'en porteraient mieux, surtout si on avait écouté,
en 1932, A. de Schryver pour faire coïncider les frontières provinciales avec
la frontière linguistique. Happart n'aurait jamais existé et ce livre non
plus. Les peuples heureux n'ont en effet, pas d'histoire.
[1] Les communes de la Voer et la frontière linguistique, brochure uitgegeven door « Le Grand-Liège », geciteerd in Parlementaire Handelingen, Senaat, 17 juli 1962, blz.1460
[2] H. van LAAR, in UBAC, Génération Fourons, o.m. blz 47 : « La conclusion la plus importante que l’on peut dégager de ce paragraphe est que le pouvoir social des pro-français et des pro-flamands ne différait guère. La majorité numérique que les pro-français ont réussi à acquérir était essentiellement due au fait qu’ils contrôlaient plus de sources de pouvoir socio-économique que les pro-flamands. Ils ont pu rallier à leur cause les fermiers et les ouvriers qui louaient une de leurs maisons ».
[3] J.-M. ETIENNE, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940 (Parijs, 1968), blz. 57, die « De Schelde » van 8 mei 1936 citeert.
[4]
J. LEERSSEN m.m.v.w. W. SENDEN, Historische verkenning van Mheer (Maastricht,
1995), blz. 118 e.v.
[6]
Reeds in 1971 was de tegenstelling enorm tussen de gemeentelijke
verkiezingen van 1970 (35 % N – 64 % F) en die voor de provincie (43,5 N
– 56,5 F) en de Kamer (43,4 N – 56, 6 F). In 1981 was er maar een
verschil meer van 4 stemmen (49,9 N – 50,1 F), maar, een jaar later, met
de gemeenteverkiezingen liep dat op tot (37,5 N – 62,0 F).
Adj.-arrondissementscommissaris meldde ons voor 1994: 44,68 N – 55,32 F
waarvoor onze dank.
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